Une fois n'est pas coutume - Adam

Décembre 2049

Soho. Un quartier qui commençait tout juste à attirer l'attention des touristes et des bourgeois-bohèmes de bonne famille avant que le Problème ne frappe Londres, en 1950. Un vieux quartier, plusieurs fois touché par les épidémies au cours de son histoire, et donc forcément un aimant à fantômes dans les premières années qui avaient suivi la catastrophe... et un repoussoir pour les vivants. Déserté par ses artistes, ses riches résidents, ses touristes, le quartier avait d'abord agonisé avant que le gouvernement ne fourbisse ses armes contre les envahisseurs de l'au-delà. À l'approche du centenaire du Problème, Soho avait regagné en sécurité, en beauté, en prestige et en richesse, comptant désormais une population londonienne et internationale aimant le chic et le bon goût. Les agences et DERCOP s'arrangeaient pour que les rues de Soho demeurent exemptes d'Apparitions, et tout le monde était content.

Ray Dearlove n'y mettait pour sa part quasiment jamais les pieds. Aucun intérêt pour ses affaires : les reliques qui s'y trafiquaient étant bien au-delà de ses moyens financiers et de ses terrains de chasse. Il était donc rare que ses semelles y battent le pavé, d'autant plus que dans ce secteur bien protégé de la cité, le couvre-feu ne réduisait guère l'activité dans les rues, ce qui représentait un inconvénient majeur quand on souhaitait tranquillité et discrétion.

Mais tout cette nuit-là faisait figure d'exception. D'abord, il faisait un temps exceptionnellement doux (adieu tout rêve de flocons blancs pour terminer l'année), la Ville avait accordé une autorisation exceptionnelle de faire exploser quelques feux d'artifice, DERCOP était en sous-effectif pour cause de vilain virus propagé lors d'un party ayant rassemblé tout le gratin des agences, et surtout une rumeur se répandait en cet instant dans tout Londres plus rapidement qu'un feu grégeois dans une bibliothèque : une horde avait fait son apparition au coeur de Soho, pas loin de Neal's Yard. Sur les ondes radio que Ray avait captées en compagnie d'un chasseur de reliques du côté d'Euston, on parlait d'au moins une dizaine de victimes parmi les fêtards des bars environnant, tous surpris sur les terrasses par cette température... exceptionnelle.

Une fois n'étant pas coutume, Ray avait "emprunté" une bécane sur le coin d'une rue puis filé par un entrelacs de rues qu'elle savait peu surveillées avant d'abandonner sa monture dans un parc. Elle avait poursuivi sa route entre arrière-cours, ruelles et allées bien sombres, loin de toute lampe anti-fantômes. Armée de sa bonne fortune, de ses sacs de sel, de son parapluie renforcée au fer, et de quatre filets portatifs en argent, elle comptait bien tirer profit de cette horde improbable.

La chance semblait jouer pour Ray cette nuit-là, car elle ne croisa la route d'aucun agent, bien qu'elle en voyait courir au loin. Chaque fois, elle disparaissait dans un interstice telle une ombre. En arrivant à proximité de Neal's Yard, elle entendit les sirènes des véhicules DERCOP et aperçut du coin de l'oeil le jaune caractéristique de ses fourgons, mais Ray ne comptait pas se rendre à Neal's Yard par la voie habituelle, non, l'adolescente comptait suivre les rats sous terre pour localiser la source. Si celle-ci avait jusque-là échappé aux agents qui avaient minutieusement nettoyé le quartier, il ne pouvait y avoir que deux raisons : quelque chose avait activé la source... ou quelqu'un l'avait transportée dans Soho avec une intention bien précise.

Ray tourna dans une allée étroite entre deux bâtiments et s'y enfonça sur quelques mètres avant de s'arrêter devant une porte en fer qu'aucun verrou électronique ne protégeait. Ray releva ses lunettes de soleil, poussa la porte et se glissa dans le bâtiment, disparaissant momentanément de la circulation.

Pendant ce temps...

[-HRP- À toi Adam Northwood! Désolée, c'est plus long que ce que tu souhaitais, mais je voulais planter le décor. ]

Je n’aime pas faire les tours en fourgon, je n’aime pas être de tour de patrouille… mais vue que dernièrement j’ai une collègue qui est arrivée et qui disons le à un fort caractère. Je n’ai parfois pas trop le choix que de fermer ma bouche et ainsi subir… en revanche il est clair que lorsque mon patron reviendra de ses « vacances » il va m’entendre.

Les collègues avaient ordre d’aller sur une intervention et de mon côté de surveiller les rues adjacentes… je voyais les gens passer, essayer de rentrer le plus vite possible armé d’une lampe anti-fantôme et d’un parapluie de fer. Les simples citoyens étaient parfois un peu trop flipper pour rien…

Mais une petite tête brune me fit m’arrêter elle avait l’air un peu trop chargée à mon humble avis, Peterson mon collègue releva la tête pour me regarder en disant :

« -Qu’est-ce que tu fou Northwood ? On à pas encore fini notre tour… »

Je soupirai avant de répondre :

« -Regarde la petite forme là-bas. Je sais on ne voit pas grand-chose mais tu peux prendre les jumelles et me dire ce que tu vois ? »

Il grogna avant de le faire et me dit :

« -Ouais un gamin ou une gamine, avec pleins de trucs qui rentre dans un immeuble pas vraiment en bon état… tu la trouve louche c’est ça ? »

J’optai de la tête avant de lui dire :

« -Aller viens on va voir, parce que si c’est une personne qui cherche à dormir au chaud elle est foutue… »

On descends du fourgon, le ferme et on se dirige vers l’endroit armée de notre équipement ont posent une première lampe anti-fantôme non loin de l’entrée avant d’aller dans l’immeuble. Peterson se met à gueuler un :

« -DERCOP on ne bouge plus. »

Oui il avait vue une ombre bien vivante bouger devant lui.

@Ray Dearlove

Aux bruits qui résonnèrent soudain depuis l'entrée du bâtiment qu'elle venait de quitter un instant plus tôt, Ray sentit sa chance tourner radicalement. Elle serra le poing sur les bretelles de son sac. Si elle avait réussi à parcourir tout le chemin depuis son territoire de chasse habituel sans se faire repérer, elle allait prendre tous les moyens pour que ça continue sur la même bonne voie. Pas question de se faire coincer par des agents de Dercop et de risquer de voir la vie qu'elle s'était construite depuis deux ans voler en éclats. Au fil des mois, elle avait plusieurs fois passé très proche de se faire prendre, cette fois-ci n'en serait qu'une de plus.

Les gueulements ne l'impressionnaient plus depuis longtemps, surtout pas quand ils venaient d'agents. Savaient-ils faire autre chose? À croire que leur seul mode de communication passait par la force de leurs poumons. Si on cherchait la subtilité et la délicatesse, il valait mieux regarder du côté des chasseurs de reliques, non que Ray tenait ses congénères en plus haute estime, mais au moins ne sentaient-ils pas le besoin de faire des entrées fracassantes.

Ça avait au moins ceci d'utile qu'avec un tel raffut et la puissante lampe que les deux zigotos trimballaient, il était absolument impossible de les rater. Depuis la petite pièce où elle s'était glissée, Ray avait une vue imprenable sur le duo. Celui qui avait crié comme un bourrin, d'abord, courtaud aux cheveux sombres que Ray trouva immédiatement antipathique, et un grand... blond? châtain? brun clair? C'était difficile à dire à cette distance et sans faire repérer.

Qu'avaient-ils vraiment vu qui les avait poussé à entrer dans le bâtiment abandonné? S'il pourchassait simplement une ombre, elle pouvait sûrement les mettre sur une fausse piste en sacrifiant une de ses sources mineures qu'elle trimballait avait elle, mais c'était risqué, et coûteux. Elle pouvait toujours imiter un chien, ça fonctionnait parfois, mais ne sachant pas exactement ce que les deux agents s'attendaient à faire surgir en lançant leur ordre d'immobilisation, c'était comme jouer au poker avec une très mauvaise main.

Elle garda le silence et ne bougea pas. La pièce où elle se trouvait comportait une fenêtre donnant sur une étroite ruelle qui lui permettrait de s'échapper, mais elle préférait attendre que le duo se fatigue de pourchasser un fantôme et quitte les lieux, lui laissant le champ libre pour rejoindre Neal's Yard. Leurs chemins se recroiseraient peut-être là-bas, mais elle espérait bien que non.

Décidément, décida Ray en ravalant un soupir, le duo de bourrins était déterminé à lui casser les pieds cette nuit-là. Pourquoi fallait-il toujours que les agents, qu'ils soient de Dercop ou d'un de ses satellites, se mettent toujours sur le chemin des bonnes affaires? À croire que c'était la mission qu'il s'était donné dans la vie, plutôt que de trouver et éradiquer la source du Problème. Cent ans déjà que la situation perdurait partout dans le monde, clairement, c'était pas la priorité des gouvernements que de régler le truc...

La gâchette facile? Qu'est-ce qu'il voulait insinuer encore par là? Se croyait-il dans un vieux western moisi où le shérif pouvait tirer plus vite que son ombre sans même demander "qui vive"? Ah mais qu'ils tirent, les zigotos! Ça paraîtrait bien dans les journaux le lendemain : « UNE ENFANT ABATTUE PAR DERCOP », « DERCOP TIRE À VUE », « ENFANT TUÉE, SON FANTÔME HANTE DÉJÀ DERCOP ». Comme ça ne réconfortait pas totalement Ray de savoir que son fantôme bousillerait la carrière de deux agents, elle se tint coi à la suite des nouvelles menaces d'un des membres du duo.

Après avoir défoncé la porte, crié des ordres puis menacé de tirer dans sa direction, ils espéraient vraiment qu'elle les croirait quand ils se présentaient comme les gentils de l'histoire? À d'autres.

Ray glissa la main droite dans sa poche pour attraper ses lunettes de soleil, qu'elle remit sur son nez malgré la semi pénombre pour bien camoufler ses iris blancs. Ne manquerait plus que les agents pensent qu'elle était sous l'influence d'un fantôme et réagissent trop vivement. Profitant de la noirceur qui régnait dans le bâtiment abandonné, la lampe posée à l'entrée n'éclairant en cet instant que les agents et le périmètre autour d'eux, Ray glissa furtivement la main dans la poche droite de son sac et en tira un reliquaire qui ressemblait à une tabatière.

Ce fut d'un geste vif du pouce que la gamine fit sauter le fermoir et propulsa l'objet en direction des agents. Quand la relique heurta le plancher aux pieds du duo et qu'un ectoplasme en surgit, Ray avait de son côté déjà le pied gauche sur le rebord de la fenêtre, que son corps franchit lestement.

Alors si je m’attendais à ça, la petite parce que pour moi tout le monde est petit sauf mon patron qui lui fait 2m de haut mais soit, je me retrouve avec une lumière aveuglante l’instant d’après.
Je lâche un :

« -Oh bordel la con… »

Mon collègue lui il dit bien plus de chose peu agréable et j’ai entendu le bruit d’une fenêtre… j’attrape mon collègue sans gentillesse et le pousse vers la sortie qui fut notre entrée. Ni une ni deux nous revoilà dehors… je referme la porte avant de râler un :

« -La saleté de gamine… »

« -Si je la chope elle finit mal… »

Je regarda Peterson avant de reprendre :

« -calme toi quand même c’est une gamine après tout. Mais elle aura mérité une bonne visite au QG… »

Je pris ma radio pour lancer un message à nos collègues qui vont nous rejoindre en attendant, je laisse Peterson faire ce qu’il faut pour contrer s’il y à une présence de fantôme qu’on puisse la coincée à défaut d’autre chose.

En tout cas elle se débrouille bien et elle va savoir comment je me prénomme la prochaine fois, j'en profite quand même pour faire le tour et essayer de voir si je trouve des traces de son passage. En attendant les autres.

@Ray Dearlove

Sautant prestement de l'autre côté de la fenêtre, la "saleté de gamine" dut déployer tout son sens de l'équilibre pour ne pas dégringoler en bas de la poubelle qui se trouvait là. Ses snickers dérapèrent un bref instant avant qu'elle ne se rattrape à un tuyau de métal grimpant le long du mur. Elle se plaqua ensuite contre le mur de briques, le temps de s'assurer que personne ne se lançait à sa poursuite, le corps tout tendu pour être prête à détaler au moindre signe de danger. Dans un mouvement qui lui était familier, elle remonta ses lunettes de soleil sur le dessus de sa tête, le temps que ses yeux s'habituent à la noirceur de la nuit, puis elle les remit en place devant ses deux orbes blancs avant de descendre de son perchoir. Depuis la petite ruelle où elle se trouvait, elle entendit les deux hommes sortirent précipitamment de l'édifice. Les deux pestant contre elle. L'un quitta enfin les lieux, mais l'autre resta sur place, comme à la recherche de quelque chose.

À son tour, Ray lâcha quelques imprécations, dans sa tête seulement, pour ne pas risquer d'être entendue : ce chien du Dercop lui faisait perdre un temps précieux, en plus de lui avoir coûté une relique. Elle allait devoir se rabattre sur un autre de ses raccourcis pour se rendre jusqu'au coeur de l'action, dans Neal's Yard, en espérant que les agents n'auraient pas encore mis la main sur les sources de la Horde. Ray en doutait, ils n'étaient pas particulièrement réputés pour leur vitesse d'exécution, certains faisaient même traîner la situation, parfois, question de soutirer plus d'argent de leurs clients. Enfin, c'était ce que Ray croyait et ce qui se disait dans certains milieux.

N'entendant plus aucun bruit provenant de l'intérieur, Ray décida de remonter sur la caisse de métal avec douceur pour ne pas produire de bruit et entreprit de se glisser à nouveau dans le bâtiment, tenant serré dans sa main droite un filet en argent et dans sa main gauche une relique vide. Si elle pouvait récupérer le fantôme, tout ne serait pas vainement gaspillé...