Au rayon des biographies

21 avril 2050

Il pouvait être facile de confondre Ray avec un rat de bibliothèque : tous deux s'avançaient à pas discrets entre les rangées de livres, tentant de ne se faire voir de personne. Tous deux gardaient profil bas, longeant les murs et se glissant dans l'ombre. Tous deux avaient le flair aiguisé qui leur permettait de trouver leur chemin dans le dédale des étagères, à la recherche du livre qui satisferait leur appétit. Tous deux se dissimulaient derrière une haute pile de livres pour se protéger de toute intrusion. Enfin, bien sûr, aucun des deux n'avait en sa possession une carte de bibliothèque.

Toutefois, pour l'oeil avisé, il suffisait de trouver lequel des deux portait des lunettes de soleil à l'intérieur de la bibliothèque pour identifier le rat et Ray. L'adolescente était évidemment celle qui portait des lunettes, celles-ci auraient été trop encombrantes pour le rat.

Mais que faisait donc Ray Dearlove, gamine des rues férocement indépendante, un peu sauvage, méfiante d'absolument tout, et chasseuse de reliques de son état, dans le lieu du savoir par excellence, fréquentée par la crème des agences, celles-là même que l'adolescente abhorrait? Eh bien, tout Gavroche qu'elle était, Ray savait reconnaître la pertinence d'un peu de recherche pré-chasse, à l'occasion. Et la piste qu'elle remontait depuis plusieurs jours valait bien l'inconfort d'une visite à la British Library.

Elle avait choisi de se présenter à l'ouverture, se glissant parmi des étudiants et étudiantes en fin de session pour passer inaperçu. Les agents dormaient encore à cette heure, en croiser au détour d'une allée aurait été une grande surprise. Aussi Ray s'était-elle glissée avec détermination et une certaine confiance entre les étagères, un oeil tantôt sur ses notes, tantôt sur les chiffres en bout d'allée. Les rayons étaient bien garnis, mais Ray cherchait spécifiquement des ouvrages portant sur Annie Chapman, l'une des victimes de Jack l'Éventreur. Car oui, la gamine avait potentiellement trouvé une piste qui la mènerait jusqu'à une relique d'importance, d'où les recherches préalables pour éviter de la voir lui filer entre les doigts.

Il ne fallait surtout pas que les Winkman aient vent de cette affaire, ou Ray pouvait dire adieu au magot.

Tandis que Ray s'enfonçait toujours plus loin dans l'aile documentaire du bâtiment, les quelques bruits indiquant que des vivants se trouvaient dans les environs faiblissaient. Bientôt, il n'y eut plus qu'un silence reposant. Ray se redressa quelque peu, marcha plus librement, mais elle s'arrêta nette au moment de s'engager dans le rayon recherché : quelqu'un s'y trouvait déjà. C'était pour le moins inattendu.

Et contrariant.