On dit souvent que l’on récolte ce que l’on sème mais honnêtement on a pas tous le même travail lorsqu’il s'agit de récolte. Si on suit la métaphore on peut dire que ma grange va déborder de blé lorsque j’aurais fini le boulot. C’est un peu ce à quoi on est confronté lorsqu’on se comporte comme moi, et je ne suis pas toujours synonyme de modèle. Et en bon non modèle que j’étais j’avais encore été un peu piquant avec les collègues de d’autres agences sur la dernière affaire que nous avions eu. Les autres diront que j’étais plus la définition d’un p’tit con que “piquant”, j’appelle ça de l’honnêteté, faut bien appeler un chat un chat.
Bref j’avais promis de ne pas faire trop de vagues et je ne pense pas avoir réussi parce qu’une fois rentré j’avais eu le droit à la petite leçon sur le fait de faire des compromis et l’importance de la bonne entente globale entre agence. Donc en guise de “punition” c’était à moi d’aller faire les courses. Youpi ! J’avais clairement pas assez dormi pour accepter ma sentence avec un grand sourire. J’avais ma meilleure dégaine de gueule de bois, sauf que je n’avais pas la gueule de bois, juste pas suffisamment d’heures de sommeil. C’est bien parce que ça ne m’enchantait pas qu’ils m’avaient envoyé là-bas, il allait le genre d’agent que j’aime embêter quotidiennement là-bas, sauf que là je n’avais pas vraiment la tête à tenir une joute verbale avec tous ces balais coincés dans toutes ces paires de fesses.

J’avais lâché mon soupir le plus bruyant avant même de monter les escaliers et d’entrer dans le bâtiment. Ma liste de course à la main j’avais l’impression d’être retourné il y a des années en arrière lorsque ma tante m’envoyait chercher ce qu’il manquait à la superette d’à côté, j’y allais le pas joyeux mon papier dans une main et la monnaie dans l’autre. Je n’étais plus exactement ce petit garçon qui dépassait à peine du comptoir de la caisse, je n’étais pas non plus radicalement différent, j’avais juste commencé à garder des choses enfermé à double tour en moi en grandissant. De plus, ça n'était pas exactement le même genre de course.  Comme je n’avais eu aucune envie de venir, je n’avais pas non plus eu envie de m’attarder mais je dois avouer que les lunettes de soleil en intérieur ce n’est pas mon idée la plus brillante. Mais lorsque je les ai retirés j’avais vu une tête que je n’avais pas eu envie de voir alors j’ai fait ce que tout adulte responsable aurait fait : j’ai remis mes lunettes j’ai tourné les talons et suis parti dans la direction inverse. Bien entendu en faisant ça j’ai heurté quelqu’un sinon ce n’est pas drôle. “Nan nan c’est moi pardon, je regardais pas où j’allais c’est ma faute. En fait je regardais où je voulais pas aller donc je t’ai pas vu, vous, tu, je sais pas pardon.”  J’avais fini par retirer mes lunettes une bonne fois pour toute, et là je pouvais prêter plus attention à qui j’avais heurté. Jeune garçon à la crinière bouclée. “Je t’ai pas fais mal au moins ?”

Passer inaperçu et être discret, ça n'était pas vraiment mon fort, ça n'était pas non plus les première choses qui viennent à l’esprit des gens quand il s’agit de me qualifier. Bien que entre nous, je sais tout à fait me montrer discret, mais en général on sait que je suis dans les parages rien qu’en entendant les agents râler. Mais on m’avait dis “pas de vagues Doeghan tu fais les courses et tu reviens”, c’était bien en partie pour ça que j’avais essayé d’éviter des agents qui ne me portaient pas dans leur coeur. Tout ceci m’ayant amené à foncer dans quelqu’un. Pas de vagues ne veut apparemment pas dire pas de bosses. J’étais loin d’être toujours très délicat et surtout qu’à ce moment précis j’avais accéléré la cadence, l’impacte avait été un peu plus violent que si j’avais été en train de marcher tranquillement mais il n’y avait rien de bien violent non plus, aucun de nous n’avait fini par terre c’est qu’on s’en sortait plutôt bien. Par contre de là à savoir si ça avait été le choc ou mon charme naturel qui lui avait fait un arrêt sur image. Bon j’exagère ça avait duré qu’une poignée de secondes, rien de bien palpitant et d’ailleurs il avait dû s’en rendre compte parce qu’il n’avait pas tardé à réagir, il avait même rattrapé ma petite liste de course. “Ah ouais tu t’es pas loupé, ou alors on t’a pas loupé ?”

A le regarder comme ça il m’avait l’air sympathique et je ne voyais aucune raison pour que quelqu’un veuille lui donner un coup, ou alors c’était que les apparences étaient trompeuses. “Nan t’inquiète moi aussi j’ai connu pire si tu veux me secouer il faudra y mettre plus de force.” Dis-je sur un ton de plaisanterie. Je l’ai remercié de la tête en récupérant ma petite liste, si j’oubliais de revenir sans ce qu’il y avait dessus j’étais bon pour passer de l’autre côté d’une affaire. “Qu’est ce qui m’a trahie ? la rapière ? Mon charme naturel ou l’absence d’uniforme ?” Demandais-je. Pour moi c’était un peu des trois mais tout le monde ne serait pas d’accord avec mon charme naturel, que voulez-vous on est pas tous né égaux. Oui j’ai une assez bonne confiance en moi, ce qui ne m’aide pas à être populaire auprès de mes collègues des autres agences. “Et toi ? Qu’est ce que tu fais ?” Il n’avait pas l’air d’être un agent et ça m’étonnerait qu’il soit venu ici par simple curiosité. Ceux qui venaient ici ne le faisaient généralement pas par hasard.