En chiens de faïence

1er mai 2050

Il n'y avait rien de plaisant au mercredi. On, c'est-à-dire les adultes, ennuyeux et ternes, parlaient souvent de la déprime du lundi, quand la semaine débutait abruptement, tuant tout le plaisir du weekend, mais on, c'est-à-dire Ray, brillante de mauvaise foi, avait décrété que le mercredi était la pire des journées. Pour une chasseuse de reliques solitaire comme elle, le lundi n'était qu'une journée parmi d'autres passée à attendre la tombée du jour pour se glisser dans la nuit, loin du regard de la police et des patrouilles Dercop, pour espérer faire une bonne pêche aux sources, une pêche payante qui lui permettrait de survivre une semaine de plus dans ce bourbier spectral londonien.

Le mercredi, en revanche, était le jour ou plutôt la nuit où Ray Dearlove devait délaisser ses terrains de chasse pour aller verser son dû au chef de bandes à qui appartenait le secteur. Elle n'avait jusqu'à présent jamais failli à payer sa part, et elle n'avait pas l'intention de commencer ce mercredi-là, même s'il lui manquait plus de 75 livres sterling cette fois. C'était la raison pour laquelle l'adolescente battait le pavé dans l'Eastern à cette heure inhabituelle où, pour une fois, ses lunettes de soleil ne déparaient pas dans le tableau.

Sa peau blême, peu exposée aux rayons UV, lui donnait presque des allures de vampires au milieu des ouvriers et ouvrières qui se pressaient sur le trottoir en direction de leurs lieux de travail. Ray marchait en suivant le flot, agacée par la cohue, légèrement oppressée par la foule, et nerveuse à l'idée de croiser des agents en plein jour. Elle ne pensait pas apparaître dans leurs fichiers, mais qui sait. Elle gardait donc la tête légèrement baissée et suivait la cadence rapide des passants, jetant de temps à autre un oeil furtif sur le nom des rues. Étrangement, elle ne reconnaissait plus Londres en plein jour, comme si ses repères habituels avaient disparu en même temps que les ombres de la nuit.

Quand elle arriva enfin à la porte de la boutique d'antiquités, elle poussa un profond soupir qu'elle ravala aussitôt en s'assurant que personne ne lui avait porté attention. Elle redressa la tête, renversa les épaules vers l'arrière, releva le menton, rajusta ses lunettes, les bretelles de son sac de toile et son manteau de jeans usé à la corde, puis posa le doigt sur la sonnette. Dès que la porte s'ouvrit, elle entra avec la conviction d'une femme d'affaires prête à vendre sa salade. En l'occurrence, une source dont elle espérait tirer les 75 livres nécessaires pour garder tous ses os intacts.